Serge Goracci
Dans le cadre de ses activités patrimoniales, l’Académie du Val d’Entraunes a eu la chance de croiser Pierre Cheyre au Tourrès qui a eu l’a gentillesse de nous prêter « le journal de César Fabre à son père ». Ce précieux document manuscrit retrace le voyage en 1874 d’Entraunes à Nice de son grand-oncle César, deuxième enfant d’une fratrie de cinq. Le père Pierre-Ange Fabre dit Angelin, meunier de son état, était marié avec Rose Liautaud. Il possédait à Entraunes une fabrique de draps et un moulin à blé et à foulon dont les roues étaient actionnées par l’eau de la béalière.
Longtemps florissant dans nos montagnes, le commerce de draps était largement sur le déclin en cette fin de siècle. Chronique d’une mort annoncée : les crues incessantes du Var, la rusticité des produits, l’archaïsme de cette petite industrie, l’ouverture des routes, la concurrence industrielle, la petite industrie lainière familiale d’Angelin battait de l’aile et ses charges familiales étaient de plus en plus lourdes.
[© Fonds Payan Jean-Claude]
Heureusement la fille ainée Euphrasie Fabre, institutrice à Péone faisait vivre toute la famille. Mais au delà de son soutien financier, Euphrasie eut un rôle déterminant semble –t-il dans l’éducation de ses frères qu’elle poussa à embrasser la carrière d’enseignant afin de garantir leur avenir professionnel. Heureuse initiative, un an plus tard le 19 janvier 1875 un incendie détruisit la quasi totalité du village (49 maisons sur les 54 dont le village se composait), les fourrages, la récolte, 1600 moutons, chèvre , mulets, vaches... Angelin est cette fois ruiné et sombre dans l’alcoolisme.
César entreprend donc son voyage à Nice pour passer le concours de l’école normale d’instituteur - je rappelle qu’en juillet 1866, le concours d’entrée dans les écoles normales, supprimé par décret du 24 mars 1851, est rétabli et l’âge d’admission passe de 18 à 16 ans - César saisit donc sa chance et réussit le concours avec les honneurs puisqu’il obtient une bourse réservée aux familles modestes. Son parcours est exemplaire. Pur produit de l’école républicaine, le petit montagnard descendu d’Entraunes fit une brillante carrière.
Il embrasse d’abord une carrière pédagogique comme professeur à l’Ecole normale de Moulins, se marie le 3 aout 1886 avec Mlle Marie-Jeanne Désirée Séraphie Depeille. Puis commence une carrière administrative et passe cinq ans (1895-1900) en Kabylie en tant qu’Inspecteur Primaire à Tizi-Ouzou, recueille des contes et légendes kabyles, se passionne pour la culture et la poésie berbère dont il tirera un ouvrage : « Grande Kabylie : légendes et souvenirs ». Professeur, écrivain collaborant à de nombreuses revues, spécialiste des textes dialectaux de Haute-Loire, des poètes et troubadours provençaux , Césaire Antoine Fabre termine sa carrière comme directeur de l’Ecole Normale d’instituteurs de Haute-Loire, rendant en quelque sorte à l’institution tous les bienfaits qu’il en avait reçus!
Son frère cadet Alexandre Fabre, quelques années plus tard suit la même voie et profite de la loi du 16 juin 1881 instituant la gratuité des études et de la pension. La distinction existant entre élèves payants et boursiers disparue, Alexandre réussit le concours et peut lui aussi devenir enseignant. Il commença sa carrière à l’école du port à Nice et la finit comme directeur du collège de Draguignan. [Photographie d'Alexandre Fabre le 24 mars 1929]
Transcription du Journal de Césaire Fabre (1ère partie)
Sommaire
Départ et commencement du jour - Chemin d’entraunes à Puget-Théniers, de Puget-Théniers à la Mescla, et à Nice. L’endiguement du Var. On approche de Nice - Fondation de Nice et historique de cette ville jusqu’à nos jours. - Vue de la mer - La ville de Nice - Retour par la Tinée.
Nous partîmes de grand matin. C’était deux heures du matin, les ténèbres de la nuit couvraient encore la surface de la terre, et le ciel étoilé se perdait aux regards dans l’obscurité. Peu à peu le ciel commença à blanchir et l’on aperçut à l’orient le signe de l’aube, marqué par un point blanc qui se dessinait dans le ciel comme un nuage pendant le jour. A ce point encore triste il en succéda bientôt un plus pur et plus brillant qui lançait de tous côtés des traits de feu par mille rayons de rose. C’était l’aurore qui annonçait enfin l’approche de l’astre du jour, et qui ajoutait aux charmes de la fraîcheur du matin le spectacle agréable de la campagne dont les variétés étaient rehaussées par le reflet de la couleur dont elle était parée. Les oiseaux plongés dans le sommeil se réveillèrent bientôt et saluèrent par leur chant, encore doux et monotone le retour du jour. Enfin le soleil parut. C’est alors que la nature se montra dans tout son éclat. Les plantes couvertes de rosée semblaient reprendre une nouvelle vigueur; les montagnes et les coteaux voisins couverts de verdure ou de forêts élevaient comme en triomphe leur tête argentée ; tout semblait se réveiller d’un profond sommeil. Les animaux tous ensemble reprirent leur essor; chacun saluait le retour du père de la vie; l’homme lui même, l’être le plus sensible de la nature, partit aux champs reprendre son labeur.
C’était le 27 juillet 1874. Nous parvînmes ce jour jusqu’à Puget-Théniers. Durant ce trajet que nous fîmes parmi les montagnes escarpées qui encaissent le lit du Var dans cette partie, je pus remarquer quelques étincelles de l’industrie de l’homme. Ici, pour établir une communication, l’on coupe ou l’on perce un rocher à force d’inventions et d’ouvriers courageux; là pour agrandir le domaine des laboureurs l’on impose des limites aux eaux du Var, par une forte digue qu’il ne saurait rompre, et on le force lui même à combler pour l’usage de l’homme cette partie de son empire, c’est à dire que quand les eaux du Var sont grossies par les grandes pluies, on les introduit sur le territoire qu’on veut rendre propre à la culture, et là, elles déposent le limon dont elles sont chargées. Plus loin encore, au passage d’une rivière impétueuse, s’élève un pont gigantesque, qu’on construit à force d’argent et de travaux.
Cependant quoique nous fussions toujours parmi des montagnes escarpées, nous avions quitté la zone des plateaux supérieurs. Déjà l’on voyait çà et là quelques coteaux de vignes; le pin, cet arbre si commun chez nous, et qui croît, dit on, dans presque toutes les régions, étalait ici jusque sur le haut des montagnes ses rameaux verdoyants et une chevelure longue et flexible. Peu après commence la zone de l’olivier, dans la région des coteaux inférieurs. Les coteaux cultivés étaient ici tout couverts de figuiers et d’oliviers qui s’étendent en forêts comme le frêne dans notre commune.
C’est ainsi que depuis Guillaumes jusqu’à Puget-Théniers je pus satisfaire ma curiosité sur le changement de végétation. Au col de Roua, nous quittâmes la vallée du Var pour longer la Roioule (Roudoule).
Près de Lacroix, nous aperçûmes la fabrique où l’on lave les métaux que l’on tire de la mine qui se trouve aux environs. J’avais un grand désir de pouvoir la visiter, nous n’en eûmes pas le temps.Enfin nous arrivâmes à Puget-Théniers. Quoique la plus petite des sous-préfectures de France, cette ville me parut pourtant encore assez considérable. J’en admirai avec plaisir la fontaine et l’église et le beau palais de la sous-préfecture.
Nous repartîmes le soir même par la diligence Drogoul. Quel plaisir pour moi qui allait pour la première fois en voiture ! D’abord le secouement imposé par le pavé fit sur moi une impression contrariante; mais bientôt, quand nous fûmes sur la route empierrée, je me fis avec ce mouvement qu’on sentait à peine et je me mis à la fenêtre pour contempler, à la clarté de la lune, les pays qui bordent le lit du Var. D’abord je m’aperçus que celui-ci occupait un espace beaucoup plus large que dans sa partie supérieure, il ne coulait plus ici dans un lit aussi accidenté que celui qu’il a dans notre commune; ce lit s’était développé et il s’en allait coulant paisiblement, au milieu d’une immense grève que l’on a beaucoup rétrécie depuis quelques années. Cependant ici des montagnes assez hautes encore s’élevaient en roches nues et inaccessibles sur les deux rives du Var et ne permettaient pas de jeter au loin ses regards; mais en même temps l’on jouissait de près de point de vue charmants. Partout sur les deux rives du Var s’étendaient au pied des rochers des coteaux de vignes, de maïs; de champs de blé, des forêts d’oliviers et de figuiers qui donnaient déjà la première récolte de leurs fruits. Tous ces végétaux, qui servent à la nourriture de l’homme, étaient nourris par un sol fertile sous un des meilleurs climats. Le vent de la mer qui souffle continuellement dans ces régions les préserve des trop grandes ardeurs du soleil qui mûrit leurs fruits. Nous marchâmes ainsi depuis Puget-Théniers jusqu’à la Mescla, en passant par le Touët de Beuil, où se trouvent les meilleurs vins du département, et la Blaie. Près de ce hameau se trouve , à une petite distance du Var, le bourg du Villars, bâti parmi les oliviers sur un coteau peu penchant et couvert de vignobles.
A la Mescla, le Var prend la direction du sud. Nous le longeâmes toujours. D’abord de la Mescla au Chaudan parmi des rochers plus inaccessibles que jamais; ensuite au milieu d’une plaine que l’on nomme la plaine de St-Martin du var. Le lit du Var, qui est large surtout ici, forme une partie de cette plaine; il la couvrait presque toute autrefois, et ce n’est que depuis un petit nombre d’années qu’on a résolu de rétrécir le lit du var au moyen d’une forte digue; c’est ce que l’on a nommé l’endiguement du Var. Par cet endiguement, un des beaux travaux de ce genre, et tout récemment fini, on a converti en terres labourables presque la moitié du lit du Var, dont la rive gauche est maintenant une suite de belles propriétés, engraissées par ses eaux salutaires et qui s’étendent en une vaste et belle plaine, que termine un plateau latéral ombragé de pins et d’oliviers, depuis St Martin du Var jusqu’à Nice. Sur la digue même repose la route, où roulent presque continuellement un nombre de voitures qui font le service de Nice à Roquebilière, par la Vésubie, que le Var reçoit au Chaudan; de Nice à St Sauveur par la Tinée que le Var reçoit à la Mescla; de Nice à Puget-Théniers et de là dans les Basses-Alpes, par le Var. Ce trajet avait pris toute la nuit; cette nuit me parut assez longue, à moi qui n’avait pu dormir: aussi attendais-je la venue du jour avec impatience, afin de pouvoir contempler le pays qui s’offrait à ma vue. Le jour) vint bientôt en effet. Nous étions encore à environ 10 km de Nice. Cependant le pays avait beaucoup changé, les montagnes qui bordent le lit du Var n’offraient plus le même aspect que celles que j’avais remarquées jusqu’au Chaudan. Elles s’étendaient maintenant en riches plateaux couverts de pins ou d’oliviers, et s’élevaient par une douce inclinaison à 200 ou 300 mètres seulement au-dessus du niveau de la mer. Je me plaisais à les contempler avec leur cime ondoyante, s’éloignant de plis en plus, décorées çà et là par quelques villages, qui s’élevaient sur leur penchant, presque dissimulés au milieu des oliviers qui couvrent ces coteaux.
Déjà l’on voyait que l’on n’était plus dans la triste région où j’ai passé les jours de mon enfance. C’était la belle campagne de Nice, que Thomas a si bien dépeinte, qui s’offrait tout entière devant nous. Déjà des végétaux nouveaux attiraient sans cesse mes regards surtout l’oranger dont j’aime tant le fruit; de splendides villas où un grand nombre d’étrangers, surtout anglais viennent habiter pendant l’hiver, s’élevaient çà et là éparses sur cette belle plage de Nice que décore la plus brillante végétation.
Nous arrivâmes enfin en vue de cette belle cité de Nice. Il me semble, mon cher père, que c’est le moment de vous faire savoir, avant d’entrer dans le détail de ce que j’ai vu, l’époque du fondement d’une des plus agréables villes de France.
Nice fut fondée vers l’an 390 avant Jésus Christ, par une colonie de Grecs-Phocéens venus de Marseille qu’ils avaient fondée 210 ans auparavant. Les fondements en furent jetés entre l’embouchure du Paillon et le rocher. Après avoir soumis les Ligures, habitants primitifs du pays, les phocéens furent eux-mêmes subjugués par les Romains, et Nice fut, sous l’empereur Auguste, établie la capitale de la préfecture que forma le territoire des Alpes-Maritimes. Elle fut enrichie de plusieurs monuments entre autres celui de la Turbie, élevé sur la voie Aurélienne et qui rappelle la conquête définitive des Alpes-Maritimes par les Romains.
Dès lors elle reçut le sort de ceux-ci, et fut successivement ravagés par les barbares, Visigoths, Ostrogoths, Lombards, Sarrazins. Détruite par les Lombards, à l’époque de leur invasion, Nice fut rétablie et s’accrut du territoire de la cité romaine. Elle prit alors le nom de Nice qui signifie victoire ; elle s’appelait auparavant Cimiès.
Nice s’entoura alors de fortifications et conserva son indépendance pendant plusieurs siècles ; puis comme le territoire qui l’environne, elle passa sous la souveraineté des comtes de Provence dont elle se détacha au quatorzième siècle pour se donner aux ducs de Savoie, plus tard rois de Sardaigne, auxquels elle fut soumise pendant quatre cents ans. Devenus française en 1792, elle passa de nouveau en 1815 sous la souveraineté des rois de Sardaigne et fut enfin définitivement annexée à la France en 1860. C’est aujourd’hui le chef lieu du département des Alpes-Maritimes.
Les fortifications de Nice ont été détruites depuis près de deux siècles et maintenant cette belle cité s’étend sans obstacle le long de la magnifique baie des anges et sur les deux rives du Paillon.
J’étais depuis longtemps dans l’impatience de voir Nice, lorsque nous arrivâmes en vue de cette agréable ville. Je considérais attentivement tout ce qui se présentait à ma vue. D’abord je remarquai les travaux gigantesques que l’on a faits pour construire le chemin de fer, le tracas et le bruit que l’on entendait à la gare en même temps qu’un convoi de wagons partait, et, avec une rapidité inouïe, s’éloignait et disparaissait à nos yeux. Mais bientôt un autre objet attire plus attentivement mes regards. Nous étions en vue de la mer ! Je demeurai comme stupéfait à la vue de cette vaste plaine liquide, sur laquelle l’œil s’étend et le regard se perd sans pouvoir se fixer sur aucun autre objet; sur cette plaine toujours en mouvement et qui bouleversée par une forte puissance, vient éternellement briser contre la côte ses vagues en fureur. J’éprouvai alors ce que je n’avais jamais éprouvé, que l’on ne peut se donner une idée exacte de ce que l’on ne voit pas. En effet, jamais aucune description n’avait pu me représenter la mer telle qu’elle est ; cependant je sentis que l’étude aide toujours en quoi que ce soit. A la vue de la mer, je songeai aussitôt au nombre infini d’habitants qu’elle nourrit dans son sein, à leur diversité d’espèces et de genres et à leur instinct différent selon qu’ils habitent les régions tempérées ou bien vivent et meurent sous les immenses glaciers qui couvrent les mers des deux pôles. Comme je la voyais pour la première fois, je ne pouvais me lasser de la regarder avec ses vagues écumantes qui venaient échouer ici sur le sable qui borde une côte couverte de prairies, là se briser avec fracas contre les rochers qu’elle semble vainement menacer. Là se montrent comme vainqueurs des vagues de légères barques de pêcheurs, et plus loin quelques bâtiments dont les voiles déployées paraissent au loin comme un nuage blanc. Mais d’un autre côté combien de choses nouvelles n’excitaient-elles point ma curiosité !
Nous étions entrés dans la ville de Nice. Tout ici était de même nouveau pour moi. Hélas ! Que pouvais-je comparer, que pouvais-je trouver de semblable à ce que l’on voit dans notre pauvre village d’Entraunes! Tout présentait ici un air nouveau, tout resplendissait de mille embellissements inconnus dans nos Alpes.
Cependant je ne pus me donner une idée exacte de la position de la ville de Nice sans monter sur la hauteur du Château qui la domine tout entière. Aussi m’y suis-je rendu avec empressement. De là je contemplai à loisir cette heureuse cité. Nice est située sur la partie est de la Baie des Anges, à l’est de l’embouchure du Var.La plage sur laquelle elle est bâtie se rattache à l’ouest à la plaine qui borde le lit du Var, et est terminée des deux autres côtés à l’est et au nord, par une colline couverte d’oliviers. La hauteur de laquelle je contemplais ce beau site, se trouve dans la ville même, sur le bord de la mer; ombragée jusqu’à son sommet, elle a été convertie en promenade, et c’est maintenant l’un des lieux les plus agréables de Nice. De là on découvre le beau bassin de la Méditerranée, sur laquelle on voit paraître au loin, et un peu à l’est, les côtes de la Corse, comme un point noir au milieu des ondes, ou bien un navire venant de l’Algérie ou quelque autre partie du monde. A l’ouest, c’est la Baie des Anges tout entière que l’on domine, jusqu’au Cap d’Antibes qu’on voit majestueusement s’avancer dans la mer avec toute sa brillante végétation. Jetant ensuite les yeux sur la ville, on la voit tout entière avec sa forme allongée sur le littoral à l’ouest, avec son petit port et toutes ces belles villas qui s’élèvent comme dissimulées au milieu des oliviers jusqu’au haut de la colline qui ferme la plage. On ne peut se lasser d’admirer leur blancheur éclatante au milieu de la verdure. Mais quel plaisir n’éprouve-t-on pas, lorsque redescendant du Château, l’on se promène à loisir dans la ville ! C’est un bruit et un mouvement continuels. C’est le fracas des ateliers, et le bruit des fiacres, qui frappent incessamment vos oreilles. Tous les fruits et les prodiges de l’art, de la science et de l’industrie se joignent ici aux biens de la nature, et ajoutent leur prestige à la douceur du climat pour faire de Nice le rendez-vous de nombreux étrangers; car Nice renferme en effet de beaux monuments. L’on y remarque plusieurs belles places, telles que la place Garibaldi, aujourd’hui presque complètement convertie en square, avec une fontaine magnifique et toute sorte de plantations d’arbres étrangers ; la place St Dominique, la promenade des anglais, sur le bord de la mer, et suivie de mille jardins et cours magnifiques; le square sur le Paillon avec la statue de Masséna. Je visitai de même plusieurs belles églises, entre autres, l’église Ste Réparate, cathédrale, l’église de Notre-Dame du Vœu, le beau palais de la Préfecture, ancienne résidence du gouverneur sarde mais ce que je visitai avec le plus de plaisir et d’intérêt, ce fut le musée d’Histoire naturelle; là je remarquai mille animaux inconnus apportés du Nouveau-Monde, et de toutes les parties de la terre, et je sentis moi-même à l’aspect de ce tableau de la nature, que si jamais je pouvais visiter à loisir la ville de Nice, je ne manquerai pas de profiter de la facilité qu’offre le musée d’histoire naturelle, de connaître les œuvres du Créateur. Il y a encore à Nice plusieurs autres établissements remarquables; des établissements d’instructions, comme le lycée qui reçoit jusqu’à 600 élèves, l’Ecole normale primaire, des écoles en tous genres, de garçons et de filles, qui répandent l’instruction, deux salles d’asile et deux crèches ; il y a aussi à Nice deux théâtres, l’un français, l’autre italien, et une bibliothèque de 40 000 volumes, où l’on peut s’instruire; je sens que si je pouvais je profiterais de cette facilité de pouvoir s’instruire.
Nice a aussi été la patrie de plusieurs grands hommes dont le plus célèbres est Masséna, duc de Rivoli, prince d’Essling et surnommé l’enfant chéri de la Victoire ; viens ensuite les peintres Van Loo et Bréa dont on admire les tableaux et l’héroïque Catherine Ségurane qui sauva la citadelle de Nice en 1543.
Remarquable à cause de la largeur de ses rues, Nice l’est surtout par la beauté de ses environs qui forment par mille variétés pittoresques la plage de Nice. La population de Nice est aujourd’hui un peu plus de 50,000 habitants.
J’aurais un grand désir de vous donner un tableau plus vaste de la ville de Nice ; mais le court séjour que je fis dans cette agréable cité ne m’en a pas laissé la possibilité.
Arrivés le 28 juillet au matin, nous repartîmes le 30 juillet au soir. Arrivés à la Mescla, je montai, comme vous les avez, l’étroite vallée de la Tinée et me rendis à Clans, voir mon oncle. Je remarquai durant ce trajet que la vallée de la tinée est beaucoup plus étroite que notre vallée du Var. La rivière coule dans un lit pierreux, encaissé parmi des rochers et loin des propriétés qui se trouvent sur les plateaux. Aucune chose nouvelle ne frappa ici mes yeux; les coteaux y sont couverts de châtaigniers; seulement je remarquai que la frénésie féodale était fortement enracinée dans ces pays dont les sites offrent pour la plupart l’aspect le plus accidenté et le plus grandiose.
Transcription du Journal de Césaire Fabre ( 2ème partie)
Motif du voyage d’un jeune montagnard à Nice - Résultat
Fils d’un meunier et né dans un pauvre village, qui n’offre aucune ressource, je ne pouvais compter sur le bien que pourrait me laisser mon père, ni essayer sans moyen de demeurer dans mon pays. J’étais cependant âgé de quinze ans et il me fallait songer à alléger le fardeau pesant imposé à mon père par une nombreuse famille. Sur les conseils du maître d’école de mon village, je résolus alors d’embrasser la carrière de l’enseignement primaire et je me préparai aussitôt pour entrer à l’école normale où j’espérais être admis avec une demi-bourse. Ce fut le motif du voyage à Nice que je viens de décrire. Après m’être fait inscrire au mois de janvier sur la liste des candidats, je me présentai le 29 juillet pour subir mes examens qui devaient avoir lieu à la Préfecture. On devait nous examiner sur des épreuves écrites et des épreuves orales, savoir cinq de celles-ci et quatre de celles-là. Les épreuves écrites consistaient :
- une page d’écriture cursive en gros, en moyen, en fin
- une dictée d’une page environ qui ne devait point contenir plus de quatre fautes
- un ou plusieurs problèmes d’arithmétique
- une composition de style. Les épreuves orales étaient au nombre de cinq à savoir :
- lecture du français, du latin et des manuscrits et explication
- langue française
- calcul mental
- instruction religieuse
- histoire et géographie de la France
Je m’étais constamment appliqué à me préparer pour subir cet examen, et grâce aux efforts d’un maître qui vivra toujours dans ma mémoire ainsi que ses bienfaits, et aux conseils d’un oncle que je chérirai toujours, je fus assez heureux pour pouvoir obtenir mon admission avec une demi-bourse. Je fus reçu le cinquième. Ce n’est point à moi à faire la peinture des impressions que j’ai éprouvées: les gens obscurs, et j’en suis, ne les font point connaître. Mais ce que je puis dire malgré mon rang et mon âge, c’est que le sang froid contribue toujours pour beaucoup dans la réussite que l’on peut obtenir; car qui n’éprouve aucune émotion en des circonstances pareilles.