Serge Goracci
Les Tourres (Châteauneuf d'Entraunes) © Goracci Serge
Qu’elles soient de bois, de fer ou de pierre, les croix ont toujours parsemé le haut pays, traces de la dévotion ancestrale de ces populations rurales. Elles jalonnent les chemins limitant autrefois les seigneuries et aujourd’hui les communes. Calvaires ou simples croix de bois, croix des ponts et des sommets, des sources et des fontaines, croix de villages et de cimetières, elles guident le voyageur et protègent la communauté villageoise contre les attaques des forces obscures.
Ces croix de chemins sont bien souvent oubliées, délaissées et se désagrègent lentement selon l’humeur des intempéries et pourtant elles ont participé à l’histoire du pays rythmant les parcours aujourd'hui un peu oubliés des processions des Rogations (1) où les paroissiens, curé en tête, traversaient le terroir de part en part, s’arrêtant aux croix pour bénir les prés et les champs.
© Fonds Lance-Boulet - [Procession à Saint-Roch, Bouchanières, 19 août 1951.]
La croix de la Passion d’Entraunes
Trônant à l’entrée du village, elle a été refaite en 2011 par l’ancien menuisier du village Maurice Payan. Située primitivement à la porte du village devant le Pont vieux dit de la Rouguière cette croix, peut-être simple à l'origine, est devenue Croix de la passion à l'aube du XXème siècle et déplacée plus tard à l’entrée de l’actuel parking du village.
La Croix de la passion appelée parfois Croix du coq est une croix qui porte les armes du Christ (Arma Cristis) ou instruments de la Passion , le mot "armes" étant utilisé ici en référence à l’héraldique et non à la symbolique guerrière. Cette croix sert à exposer les instruments de la Passion depuis l’arrestation de Jésus jusqu‘à la Crucifixion en passant par le procès, la flagellation et le calvaire. Ces instruments sont au nombre de vingt-deux, comme les lettres de l’alphabet hébreu. Cependat les armes du Christ représentées sont en quantité extrêmement variable (2) selon les régions et leur positionnement sur la croix n’est pas soumis à une règle bien précise. Nous sommes ici devant une croix de la passion relativement simple comme souvent dans le haut pays où ne figurent que quelques instruments que nous allons détailler ici. Relevons tout d’abord les petites libertés prise avec la tradition puisqu’on y trouve un râteau et une faux , certes de nobles outils du monde rural mais n’appartenant pas aux instruments de la Passion du Christ.
Notre croix n’a pas d‘orientation bien définie. Les croix sont traditionnellement orientées vers l’est, c’est à dire que le Christ, lorsqu’il y en a un, regarde vers l’ouest et le passant à les yeux tournés vers l’est, vers Jérusalem. Mais cette pratique n’a pas toujours été une règle absolue et le plus souvent , du moins dans les villages, la voirie dicte sa loi.
Le poteau est fixé dans un socle et chanfreiné c’est à dire que les angles sont biseautés.
La traverse : partie transversale de la Croix destinée au crucifiement, équivaut au patibulum romain (3) (Luc 23,26). Les extrémités sont ouvragées de forme polygonale.
L'extrémité du bras droit de la croix supportent les outils de la crucifixion : le marteau dont s’est servi le bourreau pour enfoncer les clous et les tenailles de la descente de croix. Mais les trois clous que l’on trouvent souvent à la croisée des bras de la croix sont absents.
L'extrémité du bras gauche de la croix supporte la lanterne de Malchus (4), lanterne qui lui servit à s'éclairer la nuit de l'arrestation de Jésus, au Mont des Oliviers. Malchus, serviteur du grand prêtre Caïphe qui, selon l'Évangile selon Jean, avait été envoyé pour arrêter Jésus, et eut l'oreille coupée d'un coup d'épée par Saint Pierre. Mais c'est aussi la lanterne que portaient les soldats au matin de l'arrestation du Christ ou La lanterne des gardes, les torches, (Jean 18.3) (5) "Judas prit donc la troupe de soldats romains ainsi que des garde envoyés par les chefs des prêtres et les pharisiens, et il s'y rendit avec des lanternes, des torches et des armes." Ou la lanterne de la femme qui reconnaît Pierre lors de l’ Arrestation de Jésus au Jardin des Oliviers dans la nuit du jeudi au vendredi saint.
Au sommet du poteau trône un coq. Il rappelle le reniement de Pierre lors de l’ arrestation de Jésus au Jardin des Oliviers et son repentir lors de la Passion du Christ . Il symbolise la parole de Jésus annonçant à Pierre sa trahison avant que le coq ne chante trois fois. (6) Le coq n'aura pas chanté deux fois que tu m'auras renié trois fois" avait prophétisé Jésus.
Au sommet de la partie verticale de la croix le Titulus crucis : l’inscription I.N.R.I que Pilate fit apposer sur la croix : acronyme de « Iesus Nazarei Rex Iudei » (7) , Jésus Nazaréen Roi des Juifs)
Cette inscription que les Juifs ont fait placer par dérision annonce le motif de la condamnation : écrit en trois langues, latin, grec et hébreu : Jésus est condamné parce qu’il se prétendait « Roi des Juifs ». Un des soldats transportait une enseigne (titulus) sur laquelle étaient inscrits le nom du condamné et son délit. Plus tard, cet écriteau serait attaché en haut de la croix .
Sur le poteau l'échelle pour descendre le corps de Jésus supplicié (rappelle la descente de croix le Vendredi saint) (8)
Les deux lances en croix équilibre certes la composition sculpturale mais dénature un peu la tradition qui ne présente qu'une seule lance et un bâton.
La lance rappelle Jésus transpercé au côté après sa mort (9) . « Ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé »), un soldat ayant contrôlé sa mort par un coup de lance au côté , coup qui le transperce sans briser les os (10).
Généralement sur d'autres croix de la Passion figure, en pendant à la lance, un bâton à éponge que l’on figure parfois par une lance ou un roseau. Selon l’évangile de St Mathieu ce « roseau » était en fait une branche d'hysope imprégnée d’eau vinaigrée. Cette éponge rappelle le tourment de la soif enduré par Jésus lorsqu'une une fois crucifié, et peu avant de rendre l'âme, il demanda à boire: "Aussitôt l'un d'eux courut prendre une éponge qu'il imbiba de vinaigre; il la fixa à un roseau et lui donna à boire." (11) , (...) « pour nourriture, ils m’ont donné du poison, dans ma soif ils m’ont donné du vinaigre (12)
D'autres croix de la passion ou représentations assimilables (retables, peintures, etc...) comportent bien d'autres symboles de la passion (13), trouvant leur place tant sur l'avers que sur le revers de la croix. Parmi ces symboles et sans que cette liste ne soit exhaustive : le crâne qui rappelle le lieu du supplice, le Golgotha (le mont du crâne) ; les dés (14) avec lesquels les soldats jouèrent les vêtements du Christ, ; Le pain et la coupe : rappel de l’Eucharistie, faite lors du dernier repas du Christ avec les apôtres; l'aiguière avec laquelle Ponce Pilate se lava les mains ; le calice (devenu plus tard le Graal) qui servit à recueillir le sang versé ; la torche rappelant la recherche de Jésus par les soldats, le fouet (le flagellum ou le flagrum) de la Flagellation du Christ la nuit au Mont des Oliviers ; les trente deniers de Judas ; la bourse; la main du garde du grand-prêtre qui gifla Jésus; la lune et le soleil de l'éclipse ; le Vase , vase de parfum : la pècheresse publique pardonnée verse sur les pieds de Jésus un parfum très cher ; Le rameau : Jésus est acclamé comme un roi à l’entrée de Jérusalem par une foule de gens qui tiennent dans la main des branches de palmier etc.. sans oublier bien sûr La couronne d’épines : couronne royale de dérision, faite par les bourreaux .