Ollivier Aimé, maire de Saint-Martin-d'Entraunes, au banquet des maires de France à Paris

par Serge Goracci

Moi, Maire de St Martin d'Entraunes (A.M.) Ollivier Aimé, j'ai eu l'honneur d'assister à ce fameux banquet des maires de France le 22 septembre 1900 aux jardins des Tuileries, au nombre de 22 mille 500 maires de France et des colonies. J'ai eu une plaque en bronze nominative et son diplôme".

Cette dédicace d’Aimé Ollivier, maire de St Martin d’Entraunes, sur le menu du banquet des maires de France, aussi sobre soit-elle , traduit bien toutefois la fierté voire l’orgueil d’un maire d’une petite commune des Alpes-Maritimes d’avoir pu assister à ce qui fut appelé le banquet du siècle. Organisé à l'initiative du Président de la République Emile Loubet et de son Président du Conseil Pierre-Waldeck Rousseau à l'occasion de l'exposition universelle de 1900 qui eut lieu à Paris du 14 avril au 12 novembre, il réunit dans le jardin des Tuileries le 22 septembre 1900 (jour anniversaire de la proclamation de la République en 1792) 29 695 maires de France, d’Algérie et des colonies. Sur les 153 maires que compte le département des Alpes-Maritimes, 66 sont venus à Paris. il est tentant d’imaginer ce que fut pour Ollivier Aimé cette expérience d’un événement finalement éminemment politique à la gloire de la République, lui qui n’adhérait peut être pas forcément aux idées Emile Loubet. Peut- être était-ce la première fois qu’Aimé Ollivier« montait » à Paris. Certains avantages avaient été octroyés au maire pour les « inciter » à participer au banquet républicain notamment une réduction de 500,00 frs sur le prix du voyage pour eux et leur dame et la gratuité du retour leur était accordée à condition qu’ils participent aux agapes présidentielles, un visa sur leur carton d’invitation faisant foi. Peut être avait-il été hébergé chez son frère Etienne Ollivier qui s’était installé à Paris avec sa femme Irma dès 1986.

Bien endimanché, ceint de son écharpe tricolore il a dû rejoindre certainement un groupe d’édiles provinciaux en habits noirs ou en redingotes campagnardes ou vestes brodées et descendre de la gare d’Orsay jusqu’à l’autre rive de la Seine. Là, deux lignes distinctes de rangées de table, l’une dressée jusqu’au centre du Jardin des Tuileries allant de la place de la Concorde à la rue des Tuileries, les autres parallèles aux premières, longeant toute la rue de Rivoli. Le 1er tiers de la tente principale (qui mesure 521 m de long pour 28,50 m de large) est occupé par la table d’honneur avec les plus hautes autorités de l’Etat autour du Président Loubet. La table d’honneur est ouverte, face au public telle une cène laïque. Le hasard de l’alphabet fait qu’avec les Alpes –Maritimes Aimé Ollivier occupe la deuxième table (de la porte de Castiglione jusqu’à la porte de la rue d’Alger) avec la presse et les élus des départements de l’Ain au Cantal. Il a la chance d’être sous la tente principale et de pouvoir assister aux mastications gouvernementales. Les chroniqueurs de l’époque nous disent qu’après c’est la panique, la pagaille du fait de la largeur moindre des tables. Enfin assis à l’immense table sous la toile rayée rouge et blanc rappelant les habits blanc à parements rouges des soldats de 1892 défendant la patrie en danger, Aimé 0llivier peut savourer ce « moment d’histoire » où le gigantisme le dispute au grandiose.

  1. « Le banquet du siècle »

Une liste à la Prévert est la seule façon de traduire ce repas gargantuesque même si les chiffres varient considérablement d’un journal à l’autre selon la couleur politique. Un tel banquet demande une organisation minutieuse ; celle-ci revient au célèbre traiteur de référence Potel et Chabot, maison fondée en 1820 qui va orchestrer les 12 cuisines et leurs 12 chefs aidés de leurs 360 cuisiniers. 7 kilomètres de tables, 700 tables de 10 m de 36 couverts chacune 10 km de nappes, 3500 salières,700 pots de moutardes, 2500 litres de mayonnaise, 200 000 assiettes, 30 000 couteaux, 60 000 fourchettes, 100 000 verres,
23 000 serviettes et 50 000 à 100 000 petits pains et ... 250 bœufs du Nivernais. 150 douzaines de canetons de Rouen soit 1 800 volatiles, 2500 faisans, 2500 litres de haricots verts, 3000 poulettes de Bresse, 2000 kg de saumon, 10 000 pêches et ... 2000 sommeliers, 20 000 bouteilles de Preignac et de Saint-julien, 4000 bouteilles de Margaux ... - cette avalanche de crus bordelais ne fut pas sans faire grincer des dents du côté des bourguignons - 20 000 bouteilles de champagne 1500 camemberts, 1400 litres de glace à la vanille, 30 000 cigares, 3 000 litres de café etc...

Le succès du banquet fut indéniable. Et la récupération politique alla bon train. Après les désordres liés à l’Affaire Dreyfus, la tentative de coup d ‘Etat de 1899 par Paul Déroulède , le climat social agité, le banquet du siècle donna l’image d’une grande unité politique autour du Président de la République et se transforma en événement éminemment politique à la gloire de la république et du rayonnement de Paris, en pleine Exposition Universelle. De la réussite ou de l'échec de la réunion des maires dépendait l'avenir du ministère et de la gauche républicaine. Surtout qu’au même moment se tenait le banquet rival celui de la ville de Paris organisé par le nouveau conseil municipal de Paris élu en mai (45 sièges sur 80), conseil beaucoup plus nationaliste et teinté d’antisémitisme. Le banquet des Tuileries devint alors un enjeu politique. La polémique enfla. Mais la ville de Paris ne réunit finalement que 1500 acceptations faisant pâle figure devant la masse de réponses favorables au gouvernement. Ce fut la victoire de la République qui chagrina les beaux messieurs . La polémique baissa alors d’un ton mais resta toujours vivace chez les caricaturistes.

  1. » Le gueuleton des ruraux »

Certes le banquet ne fut pas du goût de tout le monde. Les caricaturistes et la presse s’en donnèrent à cœur joie notamment la presse de droite - l’Echo de Paris (droite nationale) , le Gaulois (droite mondaine), l’Intransigeant...) - qui se gaussa de ces grandes ripailles ministérielles, de ce diner de « ruraux » et des manières de table présumées des campagnards , ce gueuleton de « ruraux » pour ne pas dire de « péquenots ».

Parmi les caricaturistes, Léon Hayard surnommé le prince des camelots , l’empereur du Croissant , antidreyfusard notoire ne se priva pas de tourner en dérision les amusements des maires et la débauche de victuailles nécessaires à ce festin de Gargantua à travers une chanson qui connut un vif succès : Le banquet des maires, « as-tu vu Mossieu l’ Maire » sur l’air des pioupious d’Auvergne.
Le 19 octobre 1900 dans un long article très sympathique au seigneur du Croissant (*) le journal le Siècle qui ne lui en voulait plus d’avoir été anti- dreyfusard, antisémite et nationaliste farouche rappelait lui aussi le succès de la chanson « en revenant du banquet des maires as , as tu vu Môsieu le maire », tirée selon lui à 200 000 exemplaires. D’après Jean-Yves Mollier le reporter aurait mélangé en fait le banquet des maires avec la chanson « à bas la Chambre » d’Antonin Louis aussi sur l’air des Pious d’Auvergne (hymne au boulangisme) et les titres que les camelots hurlèrent à tue-tête toute la journée du 22 septembre. Et c’est certainement durant ces manifestations bruyantes et hostiles au banquet des maires qu’Aimé Ollivier récupéra le pamphlet « As-tu vu Mosieu l’ Maire ».

(*)A Paris, la rue du Croissant était une rue spécialisée dans l'impression de la presse au XIXè siècle. Installé rue du croissant, Hayard passe de l’état de camelot à celui d’éditeur-libraire et se spécialise dans les chansons humoristiques ou d'actualité, notamment du chansonnier Marius Réty, de pamplets politiques, de caricatures, contribue à la propagande boulangiste et diffuse des publications anti dreyfusardes et antisémites

Bibliographie : • Gérard Guicheteau, Jean-Claude Simoën.Histoire anecdotique de la Belle-Epoque. 1983 - Le Pré aux clercs. pp.11-54

• Jean-Yves Mollier, Le camelot et la rue. Politique et démocratie au tournant des XIXe et XXe siècles. Paris, Fayard, 2004, 365 p.